Roger EBION s'est éteint le 25 mai 2024

 

Roger Ebion "un amoureux du créole qui savait faire danser les mots

C'est avec stupeur et une grande tristesse que la nouvelle du décès de Roger Ebion a été accueillie par celles et ceux qui l'ont connu et qui l'appréciaient. Très engagé au niveau culturel, ancien professeur à la retraite, membre fondateur de KM2 (Krey Matjé Kreyol Matnik) qui cherche à promouvoir la littérature créole et ses auteurs, membre très actif du Comité Ti-Jo Mauvois, le Lucéen s'est investi sans compter dans la promotion de la langue créole, élément fondamental de notre identité. 

Roger Ebion est l'auteur de plusieurs poèmes. En 2006, il obtient le coup de coeur lors du concours de poésie "Tiraj powézi Kalbas Lo Lakarayib" pour son recueil "La pli bel anba la bay". Cet ouvrage comprenait notamment de très courtes poésies sur le modèle des haïkus japonais, des textes précieux illustrés par le photographe Philippe Bourgade. Ces poèmes et clichés mélés disaient à merveille l'amour d'une terre, de ses habitants, de sa lumière, mais aussi la compléxité du monde en général. "ça pourrait paraître nostalgique, mais ça ne l'est pas du tout. C'est plutôt une façon de parler de notre pays et de faire prendre conscience que c'est une richesse incroyable qu'il ne faut pas oublier pour continuer à avancer dans la dignité" nous avait confié Roger Ebion dans un reportage que nous lui avions consacré en janvier 2009 (notre édition du 28 janvier 2009 "Quand le créole se fait poésie"). Des années plus tard, Roger Ebion avait publié "Gran lanmè", un recueil de nouvelles.

Professeur de français et de langue et culture créoles, il a fait l'essentiel de son parcours au collège de Rivière-Pilote. Né en 1939 à Ducos, il s'est marié en 1966 au consultat de Tizi-Ouzou en Algérie avec Yvette, institutrice, puis professeure de collège qu'il avait rencontrée alors qu'il était jeune volontaire administratif territorial au collège de Béni-Yenni (commune d'Algérie). 

"Il était de bon conseil c'était un homme doté d'une  grande sagesse, un bon pédagogue. Il était disponible et généreux. Il avait l'intention, avec le Téat gran moun, de mettre en scène quelques passages de l'ouvrage "L'esclavage, une histoire de héros" confie Christian Jean-Etienne du Comité devoir de mémoire. " 

"Roger Ebion le militant était aussi un grand écrivain créole qui savait faire danser, jouer et parler les mots comme un virtuose. Un virtuose hélas trop discret qui n'a pas montré toute la réelle dimension de son grand talent" ajoute l'auteure créolophone Térez Léotin.

(France-Antilles du 28 Mai 2024)

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A Sainte-Luce, un dernier hommage à Roger Ebion

La veillée de Roger Ebion a eu lieu à son domicile, à Gros Raisin, en présence d'un très important public venu lui rendre le plus solennel des témoignages qu'il méritait. Ses collègues du Collège de Rivière-Pilote, les membres d'associations dans lesquelles il a inscrit une marque majeure, des maires et anciens maires, des lucéens en grand nombre ont entouré la famille. Yvette sa femme, ses enfants, ses frères et soeurs. Tout le monde était présent pour rendre un dernier hommage à Roger Ebion qui s'est éteint à l'âge de 85 ans.

Son apport à la langue créole, à l'écriture créole a été évoqué toute la soirée. Hanetha Vété-Congolo, universitaire qui a étudié toute l'oeuvre de Roger Ebion parle "d'un rythme, d'un contenu qui rappellent ceux de Joseph Zobel ou de Jacques Roumain". Laten... une interjection qui invite à la liberté, lakontantman. "Roger Ebion parle de femmes, de bois, de trace, de mer, de soleil, de lumière. Il invitait à oser la vie, sa poésie n'est pas de la fin, mais du début" conclut Hanetha Vété-Congolo.

Ils ont dit :

Maryline Sully, directrice de la médiathèque de Sainte-Luce, une collaboratrice proche qui n'a pas eu le temps de travailler avec Roger Ebion sur une pièce de Georges Mauvois : "j'ai eu cette chance de rencontrer Roger Ebion, jeune retraité qui me rendait visite à la bibliothèque du bourg à l'époque en 2004.. Une relation d'amitié, de complicité s'est installée. Roger aimait la littérature, langue française ou créole. Krey manmay Sent-Lis est né de ce rapport-là, de cette rencontre là".

- Christian Jean-Etienne, membre du Comité Ti-Jo Mauvois - "Avant le Comité, je connaissais Roger comme formateur, professeur de lettres, comme créolophone. On a travaillé beaucoup le DULC (Diplôme Universitaire de Langue Créole) puis je l'ai cotoyé comme collègue à la mission académique des formateurs, des professeurs de l'Education nationale. Pédagogue, toujours des idées, des innovations, on s'est retrouvés dans le Comité Ti-Jo Mauvois au sein duquel il était très actif. On a créé le concours des jeunes historiens, chaque année et puis tous les 2 ans. On avait un thème : l'habitation, la dissidence, l'esclavage. On construisait un dossier avec des images, des graphiques et autres que les candidats devaient potasser, élèves et adultes. S'ils avaient bien travailler le thème, ils répondaient justement au questionnaire qui était proposé, ils obtenaient le concours. C'etait un homme généreux, il nous a cotoyés aussi au Comité devoir de Mémoire dont je suis membre. Roger vieillissait bien, très prudent, pas d'excès, d'une sagesse extraordinaire, même lorsqu'il y avait conflit intellectuel, il trouvait à apaiser tout le monde, d'une grande générosité. Toutes les générations sont présentes ce soir. La mort rassemble plus qu'elle ne sépare. Je me remémore ces petits déjeunes savoureux chez lui, lors des séances de travail que nous avons souvent eues avec Robert Sae".

- Léa Ravion, 1ère adjointe du conseil municipal de Sainte Luce : "Roger était un élément essentiel dans notre politique culturelle. Roger était une personne à qui on pouvait se référer, une personne de bon conseil. C'etait un sage, un pédagogue, un militant culturel. C'est une très grande perte pour nous, nous sommes tous sous le choc. Ce sera difficile de faire sans Roger. Au niveau de la promotion de la langue créole, on avait beaucoup de choses à faire avec lui."

- Annie Fardin, enseignante, lucéenne : "Si je dois retenir quelque chose de Roger, je dirais que c'est un homme de conviction, mais très discret et son départ rappelle cela très bien parce qu'il est parti sur la pointe des pieds, sans crier gare. Il a mené ses combats avec beaucoup de conviction pour le bien-être humain quand il a enseigné aux classes difficiles, il a donné des cours d'alphabétisation, toujours pour élever les gens, leur permettre d'accéder à la connaissance pour qu'ils puissent être bien dans leur pensée, dans leur respiration. Tous les combats qu'il a menés étaient adan mem la rel la, c'est ce que je retiens".

 - Yannick Bouvil-Brianto, association ACL : "Roger m'a formée quand je suis arrivée à l'Association culturelle de Sainte-Luce. C'est lui qui m'a demandé d'intégrer l'ACL. Il m'a pris sous son aile et tout de suite, en tant que président, il m'a montré comment il fallait faire. J'ai bien compris, on avait déjà travaillé au théâtre dans la mise en scène, tout de suite j'ai été présidente adjointe, une fois qu'il a estimé qu'il a semé la graine il m'a dit "tu seras présidente". Je suis donc présidente depuis 2018. On est terrassés par la nouvelle : encore le matin, il faisait des blagues. On ne peut que recevoir la nouvelle avec émotion et se dire qu'il faut travailler pour lui. Il a semé en moi la graine de la culture, la graine du créole, la graine de l'amour de la littérature, la graine de la citoyenneté, pourquoi on aime les autres et il me disait "une fois que tu tends la main, qu'on te la serre, qu'on te la morde, qu'on te la caresse, prends la". C'est ce que je fais : je vais continuer à le faire rien que pour lui".

(France-Antilles du 29 mai 2024)

 

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