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22 Mai 1848 - 22 Mai 2020

22 mè – Nonn pete chin-n

Voici donc la vérité : nos ancêtres se sont libérés eux-mêmes. Sé pa piès schoelchè ki libéré neg. Lè décré schoelchè-à-rivé, nou té za gain libèté assi lanm coutla !

22 mai : Matnik doubout !

Pendant ce temps, l’insurrection s’étend à toute l’île. Dès la matinée du 22 mai, le travail a cessé sur les habitations du sud. Les esclaves du Robert et du François se concentrent au Vert-Pré en vue de marcher sur la plaine du Lamentin. A la Grand’ Anse (Lorrain), à Trinité, les esclaves des ateliers et du bourg se soulèvent. Au Lamentin, à Sainte-Marie, au Marin, à Rivière-Pilote, au Gros-Morne, le mouvement s’amplifie. A Fort-de-France, les événements se précipitent : à l’annonce de l’arrestation de Jean Bouliki, le peuple se masse près de la prison pour réclamer sa libération : « Si zot pa ladjé-y, zot ké oué ! Nou ké fé tout neg bitasion dessan ! »

Au Lamentin, les ateliers se préparent déjà à marcher sur Fort-de-France

23 mai : la victoire

Le soir du 22 mai, venant de Fort-de-France, le gouverneur Rostoland débarque à Saint-Pierre au milieu d’une foule immense armée de coutelas et de piques de bambou. Une foule qui manifeste son impatience et sa détermination. Le lendemain, à Saint-Pierre, pour éviter une déroute totale, le gouverneur cède : il signe à 3 heures de l’après-midi le décret qui abolit l’esclavage à la Martinique.

Gouadeloup

Dans le même temps, les choses se précipitaient à la Guadeloupe. Les esclaves prenaient eux aussi leur sort en main. Aussi, à l’annonce des événements de la Martinique, le gouverneur de la Guadeloupe comprend immédiatement qu’il lui faut céder. Il décrète lui aussi l’abolition le 27 mai 1848.

Extrait de Chimin libèté, Histoire des Antilles, Supplément au journal Jingha,

Imprimerie Les imprimeurs libres, Paris, 1976

NDLR (23 mai, la victoire) - "... Le gouverneur arrive à 8 heures du soir, il signe l'arrêté d'abolition dans la nuit lors de la réunion du Conseil Privé. Le décret est affiché le lendemain, 23 mai à 6 heures du matin".

Dans toute l’île la révolte

La Martinique tout entière était debout. (…) Au Lamentin, les ateliers se préparaient à épauler les manifestants de Fort-de-France. C’est alors que de Saint-Pierre arrive un émissaire du gouverneur annonçant l’abolition de l’esclavage. Partout la grande nouvelle provoqua une immense explosion de joie. Les maisons se pavoisèrent aux trois couleurs. D’énormes cortèges parcouraient les rues en criant « Vive la liberté ». La lutte des esclaves martiniquais avait mis fin à deux siècles de fouet, de larmes et de sang.

Une Révolution, acte de naissance du peuple martiniquais

L’insurrection de mai est à tous points de vue une Révolution martiniquaise. Elle n’a pas été une révolte spontanée, anarchique, imprévue. Elle est l’aboutissement d’un processus révolutionnaire : le point culminant des luttes de classes qui se sont développées dans la première moitié du XIXème siècle.

Révolution consciente, organisée.

La volonté nettement exprimée d’aller jusqu’au bout dans une épreuve décisive, pour imposer la liberté, la coordination et le caractère discipliné des actions le prouvent. (…).

Une véritable Révolution qui marque la fin d’une période historique, la fin d’un système économique et social ; Révolution parce qu’elle a concerné l’ensemble des classes de la société martiniquaise et provoqué des changements fondamentaux.

A la société esclavagiste, fondée sur la propriété de l’homme par l’homme, sur la domination économique et le pouvoir politique exclusif des maîtres d’esclaves blancs, va se substituer une société nouvelle de type capitaliste. (…)

Le 22 mai 1848 est l’évènement le plus important de l’histoire de la Martinique, car il marque l’acte de naissance du peuple martiniquais.

Armand NICOLAS, Histoire de la Martinique, des Arawals à 1848, Tome 1,

Editions l’Harmattan, 1997

Après l’esclavage, la blessure

Trois siècles de déshumanisation sauvage, de turpitudes racistes, entérinées par l’Eglise, instrumentalisés pour ce qui est de la France autour d’un « Code Noir » destiné à diminuer la cruauté des châtiments, et qui lui-même codifie l’horreur.

Pour l’Eglise, ils n’avaient pas d’âme ! Cette souffrance terrestre, le sacrifice ultime, étant le prix de la Rédemption.

Pour les grandes familles négrières de Bordeaux, Nantes ou La Rochelle, ils étaient des bêtes de somme, corvéables à merci, pire, des meubles que l’on pouvait vendre à l’encan, des choses que l’on pouvait facilement imaginer perdre ou gagner, vendre ou acheter et qui s’appréciaient en terme de capital, sans souci pour la puanteur des fonds de cales.

Pour le planteur des colonies, ils étaient une marchandise spéculative, que l’on devait rendre la plus rentable possible, même si pour cela il fallait éloigner le frère de la sœur, le fils de la mère ! et châtier durement ces Congos, Mandingues, bossales…

Pour les puissances esclavagistes, France, Espagne, Portugal, Angleterre, Pays-Bas, Danemark, Suède… c’était, face au lucratif comme du café, du sucre, des épices, outre la possibilité d’enrichissement, la domination et le partage d’une Amérique qui avait vu l’anéantissement de quelques millions d’Indiens.

Pour l’Afrique, où l’esclavage captif existait chez certaines tribus de la côte (l’esclave s’intégrait dans la famille ou le corps social au bout d’une ou deux générations), ce fut l’arrachement, la déchirure, une plaie béante, une fuite de ses entrailles vers un inconnu insoupçonné. L’Afrique n’a jamais pu prendre l’ampleur du désastre de l’autre bord. Jamais elle n’a pris conscience de la dimension économique d’une traite qui après une ponction de plus de trente millions d’hommes et de femmes l’a laissée, exsangue, meurtrie, divisée, prête à subir le joug de la colonisation.

Serge CHALONS, De l’esclavage aux réparations, Comité Devoir de Mémoire – Martinique, Editions Karthala, Nouvelle édition de 2017

 

 

 

« Aucun faste commémoratif ne pourra remplacer la transmission rigoureuse des repères historiques aux nouvelles générations antillaises et guyanaises. Où sont nos manuels d’histoire ? De quels outils disposent nos éducateurs ? Quelles institutions encouragent les réels efforts consentis par nombre de nos enseignants confrontés encore aujourd’hui à « l’abîme d’ignorance ». Le problème est éducatif avant d’être commémoratif. Telle nous semble être la question que pose aujourd’hui toute démarche sincère de remémoration ».

Georges Bernard MAUVOIS, Un complot d’esclaves, Martinique, 1831,

Editions Les pluriels de Psyché, 1998

 

 

 

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